Septembre 2016, quatrième chronique sur les prisons disparues de Paris.
En 1792, la Convention transforme en prison le couvent des sœurs de Sainte-Pélagie créé en 1665 par Marie Bonneau, veuve de Beauharnais de Miramion. Le couvent abritait, rue de la Clef, les filles repenties. Le périmètre du nouvel établissement va s’inscrire entre la rue de la Clef, la rue Lacepède (ex rue Copeau), la rue du Puits de l’Ermite, et la rue du Battoir devenue la rue des Quatre-Fages. La rue Larrey sera percée plus tard. Sainte-Pélagie fermera en 1898 comme Mazas et la Grande Roquette, les prisons sont désormais construites en dehors de Paris. La prison de Fresnes est inaugurée le 19 juillet 1898.
Quelques personnalités de ses premières années :
1793 – Marion Roland est considérée comme la première prisonnière. La célèbre Mme Roland sera rejointe, notamment, par la comtesse du Barry. Elles seront transférées à la Conciergerie et seront guillotinées. Les actrices du Théâtre français y seront également emprisonnées.
1801 – le marquis Donatien Alphonse Sade y est jeté sur ordre de Bonaparte à la suite d’un pamphlet sur Joséphine qu’il lui avait adressé. Cette année là, Sade avait publié une nouvelle édition de Justine et de Juliette. En 1803, il est interné à Bicêtre comme fou. En 1801, Ange Pitou chanteur des rues y est incarcéré.
1803 – l’écrivain Charles Nodier y passera plus d’un mois pour avoir composé, une ode anti -bonapartiste « La Napoléone ».
1821 – Le chansonnier pamphlétaire Pierre-Jean de Béranger est condamné en décembre à trois mois de prisons et 500 francs d’amendes. Une contrefaçon belge de ses chansons est alors réalisée en dépit de la censure. Très populaire, il reçoit du gibier envoyé par des chasseurs ainsi que des vins de Bourgogne : Chambertin et Romanée.
Il partage ses cadeaux, mais conscient de l’effet du vin sur les propos des uns et des autres, il écrit L’Agent provocateur : « par la police il a passé (…) chut ! Mes amis; il fait jaser à table:/ c’est un agent provocateur ». Béranger passe le carnaval de 1822 à Sainte-Pélagie. Il y a également écrit Ma guérison : « j’espère/ que le vin opère ;/ Oui, tout est bien, même en prison : /le vin m’a rendu la raison. (bis) …°J’admire Marchangy (ndlr : magistrat royaliste) lui-même/ après deux coups de chambertin. »
En 1823, Louis-Philippe Baltard architecte des prisons
L’architecte reconstruit un corps de bâtiment pour le greffe avec une infirmerie installée à l’étage, dresse un mur d’enceinte à la hauteur d’un 5e étage rue de la clef et une chapelle qui coupe une des cours en deux. Elle va servir de réfectoire (longtemps les prisonniers qui vivent en commun ont mangé et se lavaient dans la cour). La chapelle sert aussi d’école comme à la Grande Roquette. L’autel et son reliquaire qui conservait un os de Sainte-Pélagie sont alors cachés derrière un large rideau. Cette pièce est la seule à être chauffée par un calorifère. Six ateliers en commun occupent les prisonniers, quatre sont au rez-de-chaussée deux au premier (sacs, ballons, lanternes, cordonnerie, plumes…). Le seul temps de parole autorisé « officiellement » était lors des ateliers pour le travail.
Une prison politique par un décret de 1831
La prison mettra derrière ses barreaux des royalistes puis des républicains. En 1831, un décret en fait une prison politique en trois quartiers : au Nord, le corridor de la dette (depuis 1797), un bâtiment de trois étages pour les dettiers avec une entrée 56, rue de la clef qui sera supprimée plus tard. Les dettiers partiront pour la prison de Clichy en 1834. Elle fermera en 1867 ; 200 dettiers seront alors redirigés sur Sainte-Pélagie. Au centre étaient réunis les droits communs voisins au sud avec le quartier neuf qui réunissait les politiques et les jeunes avec une entrée rue du Puits de l’Ermite afin qu’ils n’aient aucun contact avec les criminels. Deux guichets séparés, deux concierges, deux greffes. Le guichet central donne sur le chemin de ronde.
Au rythme des promenades
Les journées s’organisaient autour des repas de 9h et 16h suivis des temps de promenades. Elles se font en file, pour les correctionnels dans la cour de la Détention, de 9h30 à 10h et de 16h30 à 17h. Un coup de cloche mettait fin à la déambulation qui se faisait aux mêmes horaires dans la cour des dettiers. Les simples polices faisaient leur promenade avant les repas de 7h à 8h et de 14h à 15h. « Quand il pleut, ils se tiennent dans une vaste salle située au rez-de-chaussée, composée de sept à huit chambres dont on a jeté les refends par terre tout en conservant des portions de gros murs, salle basse dont les pavés se soulèvent, qui offrent partout des angles obscurs que pénètre bien difficilement l’œil des gardiens… » (Maxime du Camp)
Les politiques sont libres de leurs déplacements et peuvent discuter dans leur préau, s’y asseoir selon leurs envies. La Messe, le dimanche est à 7h45. Le Parloir est au rez-de-chaussée près du guichet central, pour 16 détenus. Les visites se font le jeudi et le dimanche, de midi à 2 heures.
Les « simple police » sont au 2e étage, dans des chambres à deux lits.
Les correctionnels ont été installés dans des dortoirs puis dans des chambres à trois, quatre, cinq ou six lits. « On entre là pour une peccadille ; on en sort préparé au crime et mûr pour le bagne » écrivait Maxime du Camp dans les années 1870.
Quelques prisonniers du pavillon des Princes
Dumas disait qu’on trouvait à Saint Pélagie tout le bottin. En effet, parmi les détenus politiques à partir de 1831 on peut citer Evariste Gallois, le mathématicien républicain, arrêté pour un toast à la République en 1831 et qu’on tenta d’assassiner en prison. En 1832, Charles Philippon est rejoint par Honoré Daumier. Ils y créeront le Charivari. Bref séjour de Gérard de Nerval auteur du poème « Politique » pour tapage nocturne. Les saint-simoniens Prosper Enfantin et Michel Chevalier y partagèrent un appartement. Des cas de choléra sont signalés cette année là, une révolte va éclater et faire un mort parmi les détenus.
La nuit d’émeute à Paris le 14 avril 1834, débouche sur les massacres de la rue Transnonain (illustrée par Daumier), 12 habitants d’un immeuble d’où un coup de feu est parti sont tués ; 164 arrestations dont François Arago, Victor Schoelcher, Auguste Blanqui, Barbès, Godefroy de Cavaignac transférés à Sainte-Pélagie ; 28 d’entre eux s’évaderont le 12 juillet 1835 par un tunnel qui conduit à un hôtel particulier du 7 rue Lacepède. Eugène-François Vidocq qui inspira à Balzac le personnage de Vautrin et créa en 1834, une agence de détectives y séjourne en 1837 puis en 1842. Pierre Joseph Proudhon incarcéré de 1849 à 1852 y écrira Les confessions d’un révolutionnaire. Le journaliste Jules Vallès fondateur du Cri du Peuple sera emprisonné à deux reprises à Sainte-Pélagie en 1868. Après la Commune, Le géographe anarchiste Elisée Reclus passera par Sainte-Pélagie avant le bagne en NouvelleCalédonie. Gustave
Gustave Courbet qui avait été élu au conseil de la Commune le 16 avril alors que la destruction de la colonne Vendôme a été votée le 12 avril est condamné à six mois de prison, non pas comme politique mais avec les droits communs, et 500 francs d’amende. (lire sur le site de Gallica le plaidoyer de son ami Jules-Antoine Castagnary). L’Anarchiste Michel Zevaco défendu par Marcel Sembat y fera plusieurs séjours et y croisera Aristide Bruant en 1891. Le journaliste Edouard Drumont, de novembre 1892 à février 1893, depuis sa cellule, va révéler un à un les noms des responsables des du Scandale de Panama. L’anarchiste Zoé d’Axa arrêté en 1893 y séjournera 18 mois.
Henri Rochefort sera son dernier prisonnier politique en 1898, date de sa fermeture. Ses prisonniers sont alors transférés à Fresnes. (Pour plus de noms de prisonniers voir sur Wikipédia)
Description de la prison avant sa fermeture en 1898
Géo Bonneron (dans Les prisons de Paris) décrit la prison des années 1890. La surface totale de la prison était alors de 6580 m² avec 810 lits (53 dans des chambres d’isolement les autres en dortoirs).
Les trois corps de bâtiments étaient séparés par des cours: la cour de la Détention était la plus grande. Là se trouvait l’entrée du grand réfectoire dans le bâtiment de la Préfecture (200 places), alors que longtemps les prisonniers ont mangé dans la cour. On trouve également la cour de la Dette et enfin la cour des Politiques attenante au Pavillon des Princes dont l’entrée était 12-14 rue du Puits de l’Ermite. Ce bâtiment comprend 5 étages. Au premier étage : l’appartement du directeur ; au deuxième : le salon, le parloir des politiques ; au troisième, la petite et la Grande Gomme qui a été habité par Henri Rochefort et Jules Guesde ; au quatrième : le Petit et le Grand Tombeau ; au cinquième : la Grande Sibérie avec un plafond bas à 1,85m. Là a logé l’anarchiste Marius Tournadre inventeur d’un matelas à ressorts qui y fit plusieurs séjours. Des petites fenêtres (95×45 cm) de son appartement, on pouvait voir la cour de l’ancien hôpital de la Pitié. Les prisonniers pouvaient communiquer avec les habitants des immeubles voisins.
Un chemin de ronde avec des guérites de surveillance avait été aménagé, mais ne permettait pas de tout surveiller.
Au rez-de-chaussée, on trouvait la bibliothèque et une pièce réservée à l’instituteur qui donnait une heure de cours le matin aux moins de 40 ans. L’Infirmerie était au 2e étage avec trois salles et 45 lits, la 3e salle était prévue pour les épidémies : choléra en 1832 et dans les dernières années a couru le bruit d’une épidémie de typhus. Le couloir donnait sur la cour des politiques. Chaque jour un médecin assurait pendant 1h les consultations médicales.
Au rez-de-chaussée on trouvait dix cachots dans un couloir sombre. On y utilisait plus les fers depuis que la camisole de force avait été préconisée.
Pour ceux qui veulent en savoir plus :
L’impossible photographie, prisons parisiennes 1851-2010, livre catalogue de l’exposition présentée au Musée Carnavalet-Histoire de Paris du 10 février au 4 juillet 2010.
Pour compléter ces informations vous pouvez consulter en ligne sur le site de la Bibliothèque nationale de France « Gallica » les ouvrages suivants :
– Maxime du Camp : Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie (1875)- – Emile Couret : Le Pavillon des Princes, histoire complète de la prison politique de Sainte Pélagie, préface Achille Ballière (1891) tous deux y ont séjourné.
– Géo Bonneron : Les prisons de Paris (1898)
et A propos de : Gustave Courbet et la Colonne Vendôme, le plaidoyer pour un ami mort de Jules-Antoine Castagnary (1883).
Production : les Nautes de Paris
à suivre une vidéo sur Sainte-Pélagie
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