Juillet 2019, voici notre 9e chronique sur les prisons disparues de Paris, après Les Madelonnettes, Saint-Lazare, La Force, For l’Evêque, Sainte-Pélagie, Mazas, La Roquette, la prison du Cherche-Midi, nous voici rue de Clichy.
Juillet 1837, Honoré de Balzac, poursuivi par ses créanciers, se réfugie chez la comtesse Guidoboni-Visconti, 54, avenue des Champs-Elysées. Celle-ci paie 1.830 francs, plus les frais, pour lui éviter la prison de Clichy. Balzac a toujours eu des problèmes avec ses créanciers d’où ses nombreuses adresses et prêtes noms. En 1828, la liquidation de l’imprimerie et fonderie laissait une dette de l’ordre de 100 000 francs. Ses héros y sont confrontés eux-aussi dans la Comédie Humaine. La cousine Bette a fait enfermer Wenceslas dans la prison de Clichy et le comte Maxime de Trailles en est menacé.
Alexandre Dumas comme Baudelaire et de nombreux artistes et écrivains se débattent avec le manque d’argent. Ils sont poursuivis par les créanciers, mais semblent avoir échappé à la prison pour dettes.
Août 1850, les dettes de Gaspard Félix Tournachon dit Nadar le conduisent à la prison de Clichy pour un mois.
A la même période sera également à Clichy, Charles Bataille, un ami de Nadar, cet écrivain vient de publier ses premiers écrits et a sans doute oublié de payer l’imprimeur. Il partira ensuite à Londres. De retour en France, il travaillera comme journaliste et publiera entre autres la nécrologie de Baudelaire dans Le Charivari.
En 1862, Auguste Poulet-Malassis, l’éditeur de Baudelaire, est en faillite. Il fera un bref séjour à la prison de Clichy pour négligence dans la tenue de ses livres de comptes, car ses idées politiques le mèneront aux Madelonnettes puis en exile à Bruxelles.
Voici donc quelques dettiers célèbres, mais le plus grand nombre de ces prisonniers étaient des inconnus.
Jean-Baptiste Bayle-Mouillard a réuni, sur place au greffe de la prison de Clichy, les chiffres d’écrou et des données sur les dettiers parisiens des années 1830-1832. Son étude met en évidence que les célibataires sont rares, les pères de famille nombreux et surtout que les incarcérés ne sont pas criblés de dettes. Il renforce l’hypothèse d’une mobilité des « débiteurs insolvables du reste de la France » affectant particulièrement Paris. A Clichy, les trois quarts sont des provinciaux et un tiers des créances sont inférieures à 500 francs. Il démontrait ainsi une disproportion de l’instrument par rapport à l’objectif poursuivi.
Nous allons maintenant vous présenter la prison de la rue de Clichy, aujourd’hui disparue.
Une prison dédiée à ceux qui avaient des dettes
Il y a d’abord eu à Sainte-Pélagie, le corridor de la dette (depuis 1797) un bâtiment de trois étages qui leur était réservé. En 1834, les dettiers sont transférés à la nouvelle prison de Clichy qui fermera le 24 juillet 1867, 200 dettiers seront alors redirigés sur Sainte-Pélagie.
La nouvelle prison a été bâtie sur l’emplacement de deux hôtels achetés en 1826 par la ville de Paris, au 54 et au 58 rue de Clichy, dont l’ancien hôtel du banquier Saillard, à la hauteur de la rue du Cardinal-Mercier qui était en impasse. Elle avait à sa création un mur mitoyen avec les jardins de Tivoli.
La révolution de 1830 avait remis en question les peines de prison pour dette. Jacques Laffitte déclarait à la tribune de la Chambre des Députés : « La contrainte par corps ne s’exerce qu’au profit de l’usure, et elle protège la paresse et la débauche quand elle ne l’enfante pas. » Le comte Alexandre de Laborde demandait à chaque session : « Quand donc anéantira-t-on ce mont de piété des créatures humaines ? »
On entrait par une porte monumentale. Les fiacres qui amenaient les débiteurs pénétraient dans une large cour. Ils étaient ensuite enregistrés puis répartis entre le quartier des hommes et celui des femmes.
Les hommes étaient répartis sur trois étages de double rangée de cellules (3mx2,50m, une petite armoire, un lit en fer, un porte-manteau) partagées par un long corridor. Au rez-de- chaussée, une galerie carrelée en briques, le promenoir d’hiver, bordée d’un côté d’une rangée de cellules, de l’autre de hautes fenêtres donnant sur la cour-jardin entretenue par les prisonniers. Le quartier des femmes comprenait dix-huit chambres avec cheminée, un parloir, un préau. Pas de visite dans leur cellule, elles se faisaient au parloir en présence d’un gardien.
Le directeur de la nouvelle prison annonçait offrir : « espace, salubrité, air, clarté, distribution d’eau, de chaleur, détails d’habitation, promenade, facilité de réunion ou d’isolement. Captivité réduite à la stricte et seule privation de liberté. »
Pour les dettiers la contrainte par corps les rendait dépendant de leur créancier
Le créancier avançait les frais de justice qu’il ne pourra jamais recouvrer : un minimum de 110 francs – en pratique environ 300 francs – pour l’arrestation par les gardes du commerce et les honoraires d’huissiers. Il ne recouvrira pas non plus les frais alimentaires, un franc par jour, sauf si le débiteur rembourse sa dette.
La durée moyenne d’incarcération était de 106 jours à Paris. Si le détenu travaillait c’était au bénéfice du créancier, un minimum de 2 francs par jour. Une partie de la somme allouée par jour par le créancier pouvait servir à améliorer l’équipement de la cellule avec draps, matelas (2), oreiller, couvertures (2), chaise (2) et table. Son mobilier avait souvent été vendu remboursant une partie de la dette au créancier et des frais de justice. Le lit restait à la mère de famille. Les dimensions des cellules ne permettaient pas d’y installer des meubles personnels, à moins qu’il fasse appel à un décorateur… à crédit! La somme dépensée par le créancier était de l’ordre de 900 francs !
« En France, la contrainte par corps est abolie en matière civile en 1793 et rétablie en 1797, de nouveau abolie et rétablie en 1848, elle fait l’objet de débats récurrents tant en matière civile que commerciale jusqu’à son abolition (d’ailleurs incomplète) en 1867, au sein d’un mouvement européen général d’abolition. »la loi du 17 avril 1832 avait donné le « coup d’envoi » de la lente érosion des sanctions frappant le failli. Elle écartait de l’application de la contrainte par corps plusieurs catégories de débiteurs : les femmes et filles non légalement réputées marchandes publiques, les mineurs, les veuves et les héritiers, les débiteurs de plus de 70 ans, etc.
La prison pour dettes de la rue de Clichy est donc supprimée en 1867. Elle sera détruite en 1872-1873.
La rue du Cardinal Mercier sera ouverte en 1879, sans doute sur l’espace central occupé par le jardin et jadis, avant la prison, l’impasse qui séparait les deux hôtels particuliers.
Bibliographie
-Physiologie de l’argent par un débiteur, Paris, Desloges éditeur, rue Saint André des arts, ill.de Lacoste et Kole, 1841
-Les prisons de Paris : histoire, types, moeurs, mystères, par Maurice Alhoy et Louis Lurine – 1846
-La statistique et le débat sur la contrainte par corps : l’apport de Jean-Baptiste Bayle-Mouillard, Par Pierre-Cyrille Hautcoeur ; Histoire et Mesure, EHESS, 2008, 23 (1), pp.167-89. ffhal-00533556f
-Abolition de la contrainte par corps et évolution du capitalisme au xixe siècle, par Nadine Levratto ; in Économie et institutions [En ligne], 10-11 | 2007, mis en ligne le 31 janvier 2013. URL : http://journals.openedition.org/ei/341 ; DOI : 10.4000/ei.341.
-Souvenirs italiens à Paris, de Jean Modot (2014)
-le site : criminocorpus.org/fr/expositions/prisons/histoire-des-prisons-de-paris/breve-histoire/
Voici l’espace qu’occupait la Prison pour dettes
Martine RONOT
Comment posted on 7-15-2023Je croyais que c’était sur l’emplacement de l’institution st Louis qui ferma vers 2010, c’était au 50 de la rue de clichy.
Avant d’être un orphelinat religieux