Les Nautes de Paris avaient conduit, le 24 mars 2019, dans le cadre d’un rallye dans le 14e, un groupe curieux de redécouvrir l’histoire du petit-Montrouge et de la rue Daguerre, de ses anciens métiers, commerces et personnalités comme la cinéaste Agnès Varda. Nous l’avons croisée dans les rues du 14e et rencontrée à plusieurs reprises lors des brocantes place Jacques Demy et au Centre Pompidou pour la rétrospective Varda/Cuba/Cinéma en 2015.
Nous vous proposons une évocation de la photographe, cinéaste et plasticienne dans notre arrondissement.
Décédée vendredi 29 mars 2019, à son domicile rue Daguerre, Agnès Varda (90 ans) a rejoint son compagnon Jacques Demy à leur nouvelle adresse, au cimetière du Montparnasse, mardi 2 avril à 14h. Elle l’avait accompagné à sa dernière demeure, le 27 octobre 1990, distribuant à ses amis, des morceaux de pellicule de plusieurs copies des Parapluies de Cherbourg pour la scène d’adieux.
« Aimer le cinéma,disait-elle, c’est aimer Jacques Demy, la peinture, la famille, les puzzles. »
Ce cimetière était pour elle un des deux grands espaces verts du 14e. Ses enfants y avaient appris à marcher, confiait-elle, en 2003, à Libération.
Dans l’autre grand espace vert du 14e, le parc Montsouris, elle a photographié les enfants de Jean Vilar et d’Andrée (née Schlegel) connus à Sète et venus comme elle à Paris. Elle a étudié la peinture (école du Louvre) et la photographie (école de Vaugirard). Jean Vilar la faisait venir à Avignon, en 1948, pour le festival et à partir de 1951 au Théâtre National Populaire (TNP, Chaillot). Ses photos sur le festival et Jean Vilar (1948-1960), ont été présentées en 2007, à la chapelle Saint-Charles (Avignon).
Au parc Montsouris, elle a filmé pour Cléo de 5 à 7 (1962) la rencontre de Cléo la chanteuse (Corinne Marchand) qui a peur du cancer avec Antoine (Antoine Bourseiller) le soldat en permission qui repart pour l’Algérie. Au chapitre VIII, elle était au café du Dôme à Montparnasse. La version restaurée a été projetée à Cannes en 2012.
Une vie rue Daguerre faite de photo, cinéma, installation
En 1951, l’ancien bougnat Emile Odoul (n°71), devenu déménageur depuis 1974, a transporté dans sa carriole les affaires d’Agnès Varda lors de son installation comme photographe rue Daguerre dans une ancienne boutique d’encadreur avec atelier et une ancienne épicerie, le tout sans confort, sans chauffage, mais avec une cour. En 1954, naissait la coopérative Ciné-Tamaris, au 83, afin de produire son premier film « la Pointe Courte » (1955), avec Philippe Noiret et Silvia Monfort et monté par Alain Resnais.
Elle rencontre Jacques Demy, au festival du court métrage à Tour, il la rejoint rue Daguerre, en 1958. Ils se marient en 1962. Non loin, dans la boulangerie à l’enseigne de la Vierge, dans la pièce du four, Agnès Varda tourna une scène de Jane B avec « Birkin et Betti qui se terminait en kilos de farine déversés » (1987).
Daguerréotypes (1975), le téléfilm immortalise les habitants de sa portion de rue, de la longueur du câble nécessaire pour filmer les commerçants, les artisans, ses voisins et les mutations du n°70 au n°90. Une exposition de photos sera installée dans sa cour. Cet album filmé a eu un supplément, rue Daguerre (2005). Cette portion de rue est devenue sa plage parisienne sous le sable des Plages d’Agnès (2008).
La place Denfert-Rochereau et le Lion formaient pour elle « la place de l’Etoile du XIVe avec ses avenues en pétales ». André Breton souhaitait donner un os à ronger à l’animal. Elle l’a fait dans son court métrage, avec Julie Depardieu, Le lion volatil (2003).
Toujours dans le 14e
En 1966, elle tourne au bar de La Coupole pour Elsa la rose, la rencontre d’Elsa et Aragon avec les intéressés. Louis Aragon raconte Elsa, sa muse, son amour, les « Yeux d’Elsa » (1942). Elsa raconte Aragon. Michel Piccoli lit les poèmes.
En 2006, Agnès Varda, selon son expression « une vieille cinéaste, une jeune plasticienne », est invitée à la fondation Cartier pour l’art contemporain, boulevard Raspail. Elle présentait l’exposition l’Ile et Elle. Une installation simulait la route submersible qui relie, par le passage du Gois, l’île de Noirmoutier au continent. « Une cabane aux portraits » réunissait 60 portraits d’insulaires et les murs de la « Cabane de l’échec » étaient faits de pellicules positives de copies du film Les créatures (1966), tourné dans l’île en 1966.
La maladie semblait ne pas pouvoir l’arrêter. Du 16 au 28 janvier 2019, elle était l’invitée de la Cinémathèque française pour Quinze jours avec Varda. En février, Elle présentait à Berlin, Varda par Agnès : «Je devrais arrêter de parler de moi, et voilà, je dois me préparer à dire au revoir, à partir». Elle a peaufiné en mars, avant son départ, trois installations : « La serre du Bonheur », « L’arbre de Nini « (son chat) et « des photos à deux mains » , réalisées dans sa cour, pour la nouvelle saison d’Art et Nature qui débutait le 30 mars, au château de Chaumont-sur-Loire…
La mairie du 14e avait donné en 2000 le nom de Jacques Demy à la place du marché Mouton-Duvernet. Gageons que l’arrondissement aura bientôt une place, une rue et/ou un lieu de vie qui portera son nom. Peut-être le morceau de la rue Daguerre, du 70 à l’avenue du Maine ? Sète a déjà sa traverse Agnès Varda où elle a tourné son tout premier film, La Pointe courte.
Sources :www.ciné-tamaris.fr, site officiel d’Agnès Varda et Jacques Demy
Cahier Libération, 22 août 2003