Michou, l’homme en bleu de Montmartre, aime les bistrots de son village, il est ici à La Mascotte. Une coupe de champagne à la main, le sourire aux lèvres, il est la parfaite illustration de sa formule préférée, « Elle est belle la vie. »
On peut chanter comme Fréhel ou comme Jackie Sardou : « Où est-il donc ?… Mon bistrot du coin ?… ». Fredonner : « Mon bistrot préféré… » de Renaud.
Pour les Montmartrois, il n’y a pas de discussion possible, le mot orthographié bistro ou bistrot, indifféremment avec ou sans t, a été inventé chez la Mère Catherine, place du Tertre par les Cosaques. Ils étaient à Paris, en 1814, pour rétablir la royauté. Pour être servi rapidement, ils répétaient en tapant sur le zinc : « bistro ! bistro ! » qui se traduit par « vite ! vite ! ». Une grande fête a été organisée, en 2014, pour les deux cents ans du mot « bistro ».
D’autres origines sont proposées. Si ce nom vient du nord, on peut penser à bistouille qui désigne une boisson née de l’union de l’alcool et du café ou venu de bistingo pour le cabaret. S’il vient du sud, il pourrait venir de bistroquet, à moins qu’il soit Poitevin et que, sa filiation soit confirmée avec le mot bistraud. Le bistrot a aussi pour synonyme troquet.
L’académicien Jean Vitaux distingue le bistrot du restaurant, de la brasserie, du bouillon, du café, du bar à vins. Le bistrot propose des boissons et une restauration rapide décontractée sans chichi, qui peut être servie au bar. C’est donc un café de quartier où on propose de la restauration au comptoir. Le mot bistrot est attesté, en 1884, dans les « Souvenirs de la Roquette » de l’abbé Moreau, pour désigner un petit café où l’on peut manger et boire de façon simple.
Le linguiste Alain Rey, un des pères du dictionnaire Le Robert, écarte l’origine cosaque pour des raisons chronologiques. Le bistrot à vins s’inscrit cependant en héritier, car c’est au bistrot que se fête l’arrivée du Beaujolais.
Au XXIe siècle, le bistrot parisien a gagné du galon avec la bistronomie qui allie bistrot et gastronomie. Les chefs étoilés sélectionnent des restaurants bistronomiques qui reçoivent des distinctions. En avril 2017, la maire de Paris, Anne Hidalgo a récompensé les 100 meilleurs bistrots de la capitale.
Le bistrot, un style, un décor
Le bistrot a un équipement de base, précis et simple. Le comptoir est en zinc équipé d’une pompe à bière, d’où l’expression « boire une mousse sur le zinc ». Derrière le bar sur les meubles réfrigérés trône la machine à café qui permet de servir un « expresso » à moins que vous préfériez un « allongé ».
Les tables sont petites pour les têtes à têtes, les fameuses tables bistros. Elles sont plus grandes pour s’installer à plusieurs. On s’assoit sur des chaises en bois style 1900, parfois sur des bancs ou des sièges plus confortables, tressés ou recouverts de skaï de couleur.
Des banquettes rembourrées vous attendent le long des murs. La convivialité y est à l’ordre du jour avec des journaux et des revues mis à disposition, mais aussi des parties de cartes qui s’organisent, des parties de dés, de jeux de dames ou d’échecs.
Les murs s’habillent avec des expositions de photos, de peintures.
La salle accueille des réunions. Les habitués commentent l’actualité sans complexe. Au bistrot tous les consommateurs peuvent devenir des orateurs. Ils disposent d’un public attentif. Chacun commente l’actualité, se sent juge et politique.
Cette philosophie de comptoir, en mode café du commerce, ces réflexions spontanées, le journaliste Jean-Marie Gouriot les a baptisées « brèves de comptoirs » et en a publié deux volumes (1988).
Côté cuisine, l’espace était souvent restreint. Parfois même, on mitonnait un plat au bout du comptoir. Mais désormais, les bistrots étoilés, ceux qui sont répertoriés dans les guides sont davantage en mode restauration avec une équipe en cuisine. Mais, le menu s’inscrit toujours sur l’ardoise.
Les cafés
Dès le XVIIe siècle quelques cafés inspirés du modèle oriental furent ouverts à Paris. Ils n’ont pas eu le succès escompté. Les lieux étaient sales et le breuvage noir mauvais. Le Procope sera le premier café-glacier parisien ouvert en 1686. Il fut le premier café philosophique parisien à offrir un décor luxueux, à partir de 1689, avec des boissons de qualités et un peu de restauration. A la fin du XVIIIe siècle, on estime à 3 000 le nombre de cafés. Le Procope est notre plus vieux café-restaurant ouvert à Paris.
1785, les taxes sur les vins et alcools représentaient plus de 50%. Alors, il valait mieux ouvrir un établissement, au-delà du mur, pour vendre du vin qui fait guinguer ; « un vin détestable » selon Rétif de La Bretonne. Dans les guinguettes les ouvriers se retrouvaient en fin de semaine chez Ramponneau, dans les cafés de la Nouvelle-Athènes, chez le père Lathuille où on servait de l’absinthe.
Au Palais-Royal, chaque café avait sa couleur politique. Le café de Chartres, ouvert en 1784, était le café des Royalistes. Pendant la Révolution, les cafés du Palais-Royal résonnaient des échanges houleux des différents clubs révolutionnaires qui avaient chacun leur lieu de rendez-vous. Le 12 juillet 1789, Camille Desmoulins juché sur une table du café de Foy appelait la foule aux armes. De révolution en révolution, les cafés ont confirmé leur influence. Ils étaient étroitement surveillés à toutes les époques car, le vin comme les alcools rendent bavard.
Les Auvergnats et Aveyronnais ont joué un rôle important dans ce commerce. Ils ont abandonné le portage de l’eau après qu’Haussmann ait fait monter l’eau à l’étage dans les nouveaux immeubles. Les bougnats ont uni la vente de bois et charbon avec celle de la limonade, des vins et alcools et bien sûr du café. Marcelin Cazes avec la Brasserie Lipp et Paul Boubal au Café de Flore témoignent de deux belles réussites. Ces professionnels ont un journal créé en 1882, sur un zinc parisien L’Auvergnat de Paris.
Les femmes au café
Les femmes ont longtemps refusé d’entrer seules ou accompagnées dans les cafés. La tenancière ou l’épouse coquette trônait derrière la caisse. Dans la salle, les serveuses s’activaient, et des prostituées accompagnaient quelques clients. Au XIXe siècle, quelques femmes seules y attendaient qu’on leur offre une boisson. Les dames ne devaient pas entrer dans les cafés, les salons de thé leur étaient réservés. La morale conservait et entretenait l’image de la serveuse avenante et peu farouche telle « La Madelon » de la chanson.
Alfred Carel explique dans : « Brasseries à femmes de Paris » (1884) qu’un nouveau commerce est né au XIXe siècle pour l’Exposition universelle de 1867 « la brasserie à femmes » où s’exerce une prostitution moderne par « raccrochage » qui « n’offre ni les garanties sanitaires ni le prix des maisons de tolérance ». Il précise que des répertoires fournissaient les adresses des demoiselles et des établissements qu’elles fréquentaient afin de rendre plus agréable le séjour des visiteurs.
Dans une atmosphère enfumée les échanges étaient très animés. L’entrée des établissements sérieux était refusée aux dames seules. Ainsi à Montparnasse, à la Rotonde, seules les femmes portant un chapeau pouvaient entrer. C’est donc chapotée que Kiki, qui deviendra la compagne du peintre Fujita et du photographe Man Ray, fit son entrée. Les peintres montmartrois ont souvent trouvé leurs modèles dans les bistros de la butte qui n’avaient pas ces exigences, notamment place Pigalle. Le Fouquet’s a longtemps interdit l’entrée aux femmes seules. Une pratique qui ne semble pas avoir totalement disparu et que certains veulent réintroduire dans les bistrots et cafés de quartier…
La vie culturelle palpite dans les cafés. Des courants littéraires et artistiques y sont nés et y ont vécu. A Saint-Germain-des-Prés, le café des Deux Magots comme Le Flore ont été les lieux de rendez-vous des existentialistes, des artistes et intellectuels, Elsa Triolet, André Gide, Jean Giraudoux, Picasso, Fernand Léger, Jacques Prévert, Ernest Hemingway, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir ou encore des surréalistes autour d’André Breton. Ces derniers aimaient tout particulièrement les bistrots et les cafés des passages du 9e arrondissement où se sont fait des rencontres comme celle de Breton avec son héroïne Nadja.
Le Grand Café, créé lors de l’inauguration de l’Opéra en 1875, a été un des hauts lieux des grands boulevards. Le 28 décembre 1895, les frères Lumière, projetaient leur premier film dans son salon indien.
Les bistros et les cafés sont des lieux, où les patrons ne refusent jamais une carafe d’eau à un étudiant qui a déjà commandé un café et qui a besoin de se sentir entouré à l’approche des examens. Ils ont leurs habitués, et proposent des animations régulières pour la Saint-Valentin, la Fête de la Musique, le Jour de l’An. Ils offrent aux intermittents du spectacle un public demandeur.
Les cafés, un temps désertés avec l’arrivée du petit écran, ont retrouvé leur rôle social et la convivialité. Désormais, on s’y connecte en WiFi et les prix des Happy Hours permettent de craquer pour des cocktails à prix réduits ce qui a largement contribué au succès des mojitos.
Les décorateurs s’attachent à leur apparence, tel Philippe Starck pour le café Costes. De nouveaux concepts voient le jour comme le Water Bar décoré par Jacques Garcia. Mais, des petits bistrots de quartiers subsistent fidèles à la tradition, ils proposent toujours : « un plat sur le pouce ».
A suivre :
Carlotta
Comment posted on 6-19-2020L’arbre à cannelle a été saccagé par le nouveau patron des lieux. On a peine à croire que des décors historiques soient si peu protégés. Impossible de savoir ce que sont devenus les panneaux de bois, les illustrations de cacaotiers, la décoration murale, les meubles. Le plafond à caissons semble avoir été épargné de la furie destructrice, la devanture a été totalement altérée. C’est un scandale. J’en aurais pleuré.