Droit et justice

La Roquette au XIXe siècle: une Bastille pour enfants et un dépôt de condamnés

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Août 2016, 3e chronique sur les prisons disparues de Paris

1836, de chaque côté de la rue de la Roquette, s’ouvrent deux prisons nouvellement construites sur des terrains ayant appartenus aux Hospitalières de la Roquette avant la Révolution. La Petite Roquette construite sur les plans de l’architecte Louis Hippolyte Le Bas est au 143, sur un terrain de 25000 m2. Elle est délimitée par la rue Merlin, la rue Durantin et la rue Servan. En face au n°166, la Grande Roquette dessinée par l’architecte François Gau occupe 11873 m2 délimités par la rue Gerbier, la rue de la Folie-Regnault et la rue Vacquerie. A partir de 1900, il n’y aura plus qu’une prison de la Roquette.

La Petite Roquette, la maison des jeunes détenus

Vue aŽrienne Prison de la petite Roquette.

Vue aérienne de la prison de la petite Roquette

Dès 1790, les jeunes détenus (-21ans) sont séparés des adultes et répartis entre Sainte Pélagie et les Madelonnettes. En 1819 est créée la société royale pour l’amélioration des prisons. Dès 1825 a débuté la construction de la Petite Roquette qui devait accueillir les femmes détenues à Saint-Lazare.

En fait, elle va devenir la maison des jeunes détenus, de 7 à 21 ans, venus des Madelonnettes. Cet établissement cellulaire vu de l’extérieur avait des allures de nouvelle Bastille avec ses hauts murs et ses six tours d’angle. Dans cette prison « test » en forme d’étoile, dessinée selon un plan panoptique hexagonal, différentes formules de vie cellulaires seront expérimentées.

numéro spécial consacré à la Petite Roquette qui deviendra prison de femmes.

Numéro 348, du 30 novembre 1907 consacré à la Petite Roquette et aux traitement des enfants détenus

A chaque enfant est attribué un numéro de matricule. Après avoir été baigné, ils revêtent la tenue qui comprend caleçon, veste, pantalon, sabots et une blouse bleue. Ils sont là envoyés par leur famille, ou ils ont été pris en faute, volant, vagabondant, croyant échapper à leur famille et/ou à la misère.

Cette prison suit un nouveau modèle carcéral décrit par l’anglais Jérémy Bentham dans un manuel sur le sujet qui a été mis en pratique aux Etats-Unis. Les architectes français vont l’adapter à la Roquette, à Mazas et à la Santé. Ce nouveau système cellulaire doit permettre de surveiller en permanence l’ensemble de la prison, c’est-à-dire les détenus et les gardiens, depuis un point central.

La chapelle, un jour de confirmation.

La chapelle, un jour de confirmation

La Petite Roquette comprend six bâtiments de trois étages avec 18 divisions de 34 cellules pour un total de 500 cellules. Ils sont reliés à un hexagone central par des passerelles. Les jeunes sont enfermés seuls la nuit. Le jour, ils sont ensemble et travaillent dans des ateliers. Ce modèle est un échec. Les récidives sont jugées trop importantes. A partir de 1840, on décide de les isoler afin d’éviter tous contacts. Le régime cellulaire strict est appliqué de jour comme de nuit. La prison subit des modifications. Les ateliers collectifs sont supprimés. Chaque jeune va travailler dans sa cellule. Un amphithéâtre cellulaire va servir de chapelle et de salle de classe. Au-dessous de la chapelle, le parloir est divisé lui aussi en cases pour 20 familles et 20 jeunes prévenus séparés de part et d’autre par des barreaux, un grillage serré et une balustrade. Des promenoirs cellulaires ont été mis en place avec des robinets afin qu’ils puissent se débarbouiller. Il y a aussi des cachots.

Les cases individuelles de l'amphithéâtre devait préserver l'anonymat des détenus entre eux.

Les cases individuelles de l’amphithéâtre devaient préserver l’anonymat des détenus entre eux.

Chaque cellule fait 3 m sur 2,50m, avec une fenêtre en hauteur, sans barreau ni grillage, équipée d‘un vasistas au verre dépoli. Un lit en fer, un tabouret relié au mur par une chaîne, une planche à bagages, une cuvette, un broc, un vase de nuit vidé chaque matin dans la fosse commune, après avoir fait le ménage de leur cellule. Levé dès 6h/ 6h30 en été, 6h30//7h en hiver, ils nettoient leur cellule puis à 7h30 on leur porte le déjeuner composé de pain et d’eau. 10h c’est la soupe et 17h le dîner une gamelle de légumes, de la viande deux à trois fois par semaine. Différents régimes alimentaires seront testés. Les jeunes sont occupés en permanence, école et devoirs, travaux manuels : confection de filets à provision, de fleurs artificielles, de cottes de mailles, de chaîne en acier, cannage des chaises… Mais cela n’évitera pas les suicides. Les promenoirs semi circulaires permettent de maintenir l’isolement pendant les promenades. Les déplacements se font alors le visage recouvert par un voile puis plus tard par une cagoule pour préserver leur anonymat.

A la suite de la visite de l’Impératrice, en 1865, les enfants vont être dirigés vers des colonies agricoles. Mais, les jeunes prévenus continueront à passer par la Petite Roquette ainsi que ceux placés par leur famille. En 1926, Jean Genet qui a 15 ans y fera un séjour avant de partir en colonie agricole tout comme Léo Mallet jeune rebelle qui a été trouvé dormant sous un pont.

Numéro de Police magazine 24 septembre 1933 consacré à Violette Nozières.

Police magazine du 24 septembre 1933 consacré à Violette Nozières.

1896, l’infirmerie générale des prisons est installée à la Petite Roquette.

1932, la prison Saint-Lazare ferme. Les femmes sont dirigées sur la Roquette qui devient prison des femmes jusqu’en 1973. Elle accueillera, notamment, Violette Nozières condamnée à mort le 12 octobre 1934. Sa peine sera commuée en peine de travaux forcés à perpétué, puis son avocat après plusieurs recours, la fera libérer.

1961 une évasion. Six femmes du réseau Jeanson, soutien au FLN, emprisonnées au 1er étage utiliseront des draps et des couvertures et escaladeront le haut mur d’enceinte de 4,5 m.

1974, la prison sera détruite. Un square l’a remplacée en 1977 ainsi que la salle Olympe de Gouges. On passe toujours entre les deux guérites de l’entrée de la prison et une plaque posée à l’extérieure rappelle que des femmes résistantes y ont été enfermées par l’occupant durant la Seconde Guerre mondiale.

La Grande Roquette, le Dépôt des condamnés

Les deux prisons face à face, en rouge la Grande Roquette

Les deux prisons face à face, en rouge la Grande Roquette

Chanson d'Aristide Bruant : la Roquette

Chanson écrite et chantée par Aristide Bruant : A la Roquette

Les prisonniers l’appelaient « la Grande Rotonde » ou « la Grande » par comparaison avec la « Petite » Roquette. Surnommée également« le Petit Bicêtre », parce qu’elle a accueilli les détenus du centre de triage des condamnés de Bicêtre avant leur envoi au bagne ou dans les centrales. Elle était donc le nouveau dépôt des condamnés à la réclusion, aux travaux forcés, en attente de leur départ en centrales et aux bagnes.

La prison comprenait trois bâtiments, un à l’est et un à l’ouest séparés par une grande cour intérieure et unis côté rue par un troisième bâtiment au bas duquel se trouvait le greffe et du côté opposé une vaste chapelle.

La prison comprenait six sections, chacune avec des cellules individuelles et à chaque extrémité des dortoirs. Elle pouvait abriter 500 à 600 détenus. Ses 300 cellules individuelles ne servaient que pour dormir. Elles étaient éclairées par une seule fenêtre, avec des barreaux, pour deux cellules séparées par une large cloison vide.

Dessin de la Grande Roquette

Dessin de la Grande Roquette

Les détenus mangeaient dans la cour principale au centre de laquelle se trouvait une fontaine. En 1860, l’aumônier l’abbé Crozes finança la construction d’une marquise autour de la cour pour que les condamnés qui y prenaient leur repas soient à l’abri. Après l’aménagement de la Chapelle en 1893 celle-ci servira également de réfectoire. L’autel était placé derrière des rideaux. Divers ateliers rémunérés étaient proposés par des prestataires qui ainsi participaient au financement de la prison.

Pour la promenade les détenus étaient répartis en plusieurs files marchant en sens contraire afin de ne pas se déplacer côte à côte.

Le règne de la guillotine

Le Petit Journal, 8 août 1891, la Une pour l'exécution de Doré et Berland le 27 juillet.

Le Petit Journal, 8 août 1891.En Une Les condamnés à mort Doré et Berland le 27 juillet, jour de leur exécution.

A partir de 1851, la guillotine, la « Veuve » encore appelée l’« Abbaye des cinq-pierres » va être installée devant la Grande Roquette où sont envoyés les condamnés à mort. L’exécution se faisait alors en public. La guillotine était placée sur un échafaud. On voit encore les cinq pierres qui supportaient l’estrade montée à chaque exécution.

Plus tard, la guillotine sera placée au ras du sol. Quatre vingt neuf condamnés à mort seront exécutés devant sa porte de fer. La première exécution a été celle de Humblot qui avait tué sa maîtresse. Dans la cour carrée de l’infirmerie aux allures de cloître lors de la promenade, le condamné à mort était accompagné par trois gardiens.

Pour les condamnés à mort qui revêtaient la camisole, car on craignait qu’ils se suicident, trois cellules étaient aménagées avec un lit, une table, trois chaises en paille (1 pour le prévenu 2 pour les gardiens), 1 poêle en faïence, une armoire, un siège d’aisance, un bec de gaz.

Monseigneur Darboy fusillé pendant la Commune figure parmi les célébrités des images du chocolat Guérin-Boutron.

Monseigneur Darboy fusillé pendant la Commune figure parmi les célébrités des images du chocolat Guérin-Boutron.

1871 lors de la Commune, les jeunes emprisonnés de la Petite Roquette seront libérés. Quant au nouveau directeur de la Grande Roquette il fit brûler la guillotine : 300 otages, civils et militaires ont été emprisonnés dans son établissement. Fin mai, une soixantaine d’otages en provenance de Mazas y seront envoyés pour être exécutés. Le tribunal de la Commune décidera de n’en exécuter que six qui seront fusillés : Mgr Darboy et le président de la cour de Cassation Louis Bonjean y seront ainsi exécutés le 24 mai, avec quatre religieux. Une plaque sur le chemin de ronde commémorait l’événement.

1874, on raconte que Gruber condamné pour fausse monnaie y termina quelques uns de ses billets.

1886 une révolte va éclater, les détenus munis de tranchets provenant de l’atelier de cordonnerie voulaient pendre à la lanterne le directeur. Les militaires durent intervenir baïonnette au canon pour mater la révolte.

1898, suicides, maladies, épidémies, la prison était devenue vétuste. La démolition de la Grande Roquette programmée dès 1898 avec celle de Mazas et de Sainte-Pélagie s’inscrira dans une politique de déplacement des grands centres pénitenciers hors de Paris. Il en sera de même pour les cimetières, les usines, les abattoirs, Paris veut récupérer de l’espace et un environnement assaini. Ces trois prisons auront disparu pour l’exposition de 1900.

Pour ceux qui veulent en savoir plus :

Les prisons de Paris, de Géo Bonneron (1898), vous pourrez lire cet ouvrage sur le site « Gallica » de la Bibliothèque Nationale de France

L’impossible photographie, prisons parisiennes 1851-2010, livre-catalogue de l’exposition présentée au Musée Carnavalet- Histoire de Paris, du 10 février au 4 juillet 2010, Paris-Musées

L'entrée du square de la Roquette a conservé le portail d'entrée de la prison.

Le square de la Roquette  conserve le portail d’entrée de la prison.

 

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A suivre une vidéo sur la Roquette

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