Perette et son pot au lait brisé, Maître Corbeau sur son arbre perché, la Fortune sauvant l’enfant dormant au bord du puit, la Grenouille orgueilleuse… Souvenirs d’une enfance où la morale se contait pour marquer les esprits…
Afin de terminer en beauté cette année de commémoration, pour les 400 ans de La Fontaine voici une exposition exceptionnelle qu’il faut avoir vu. Elle est à découvrir jusqu’au 28 février 2022.
La maison-atelier de Gustave Moreau, 14 rue de la Rochefoucault, qu’il a transformée de son vivant en 1896 en musée a été légué à l’État à sa mort en 1898 et ouvert en 1903.
Aujourd’hui, l’histoire des soixante-quatre illustrations de Gustave Moreau réalisées à la demande du collectionneur marseillais Antony Roux pour Les Fables de La Fontaine a été mise en scène, dans les ateliers du 2e et du 3e étage, conçus en 1895-1896 par l’architecte Albert Lafont et où de grandes toiles demeurent inachevées.
Grâce à l’important fonds documentaire de Gustave Moreau, ses sources d’inspiration ont pu être conservées : livres, revues, documents, dessins préparatoires, photos, outils, essais de couleurs, correspondances, livres de comptes tenus par sa mère…
Un travail d’équipe
Le commissariat de l’exposition a réuni, la directrice du musée Marie-Cécile Forest, l’historien d’art Dominique Lobstein et le documentaliste du musée Samuel Mandin.
Ils ont passé plus de deux ans à préparer cette exposition largement documentée sur les 64 aquarelles ; 34 d’entre elles sont de retour présentées dans des cadres noirs.
Des travaux préparatoires conservés au musée, des tirages d’après négatifs sur plaque de verre du fonds de l’agence Bulloz, ainsi que l’exemplaire donné au musée complètent l’ensemble.
Hubert Le Gall assisté de Laurie Cousseau signent la scénographie sur un graphisme d’Ursula Held.
On connaissait les illustrations des Fables réalisées par François Chauveau au XVIIe siècle, Jean-Baptiste Oudry au XVIIIe siècle, Jean-Jacques Grandville et Gustave Doré au XIXe siècle mais celles de Gustave Moreau, devenu membre de l’Académie des beaux-arts en novembre 1888, semblaient avoir été oubliées car peu vues et non reproduites.
Le collectionneur Antony Roux
Né Antonin Roux, ce fils de banquier a arrêté de travailler à la mort de son père, en 1858. Il a changé l’orthographe de son prénom pour éviter toute confusion avec d’autres Antonin Roux.
Il constitue une importante collection de tableaux, d’abord d’artistes provençaux, Gustave Ricard qui fera son portrait et de Félix Ziem. Puis il s’installe à Paris. Là, le peintre l’emmène à la découverte des cercles artistiques.
Il voudra alors, à côté de ses peintures, réunir des oeuvres graphiques.
A la fin des années 1870, il a le projet d’une édition des Fables de La Fontaine, « un florilège d’images accompagné de textes calligraphiés. »
Ce sera son Œuvre pour la postérité, « son ouvrage« . Mais très vite l’idée de publication sera abandonnée.
Il ne s’agira plus que d’une collection très privée.
Nombreux sont les peintres aquarellistes, qu’il sollicite dès 1879, afin qu’ils réalisent plusieurs illustrations des Fables de La Fontaine.
On peut citer : Charles-Edouard de Beaumont, Giuseppe De Nittis, François Louis Français, Ferdinand Heilbuth, Eugène Louis Lami ou encore Philippe Rousseau. A noter une seule femme, Madeleine Lemaire. Elle réalise une illustration pour La Jeune Veuve (livre 6, fable 2).
Parmi eux Jules Jacquemart et Elie Delaunay qui présente à Antony Roux, le peintre Gustave Moreau.
Gustave Moreau va immédiatement se mettre au travail
Les deux hommes qui ont sympathisé vont échanger une abondante correspondance de plus en plus amicale et louangeuse de la part du commanditaire qui soumet ses desiderata et attend chaque livraison avec impatience.
Le musée conserve plus de 200 courriers. Au décès de l’artiste, le collectionneur reportera son amitié et son admiration sur Auguste Rodin.
En 1879, il lui envoie rapidement l’aquarelle du Frontispice.
En mai 1881, une exposition de toutes les illustrations réalisées est présentée par la société des Aquarellistes français, fondée en 1979, à la galerie Durand-Ruel, 16 rue Laffitte, soit 155 œuvres de 55 artistes.
Les vingt-cinq illustrations de Gustave Moreau dominent cette présentation. Il reste le seul et unique artiste et poursuit sur ce projet personnel qui ne sera jamais édité.
Pour répondre aux exigences du commanditaire, il se rend au Museum d’histoire naturelle, s’installe dans les serres du Jardin des Plantes, à la volière, à la bibliothèque, sa carte d’accès à la ménagerie date d’août 1881 car écrit-il : « Vous voulez, et avec grande raison, pour cette nouvelle série, des animaux vrais, très vivants, aux allures naturelles et justes, tout cela a dû être étudié de nouveau à fond d’après nature… » Il s’y documente et étudie sur place âne, cerf, éléphant, lion, rhinocéros, singe, loup… Il se familiarise avec l’anatomie des animaux.
Il réceptionne également à l’atelier des grenouilles vivantes, une tortue naturalisée…
Antony Roux reçoit chez lui
Le commanditaire fait des présentations en petit comité des 64 aquarelles, réalisées de 1879 à 1884, à ses relations, aux amateurs d’art, à d’autres collectionneurs et à des artistes notamment Auguste Rodin et Claude Monet.
En 1886, Paris puis Londres découvrent les soixante-quatre aquarelles.
Elles seront présentées une dernière fois en 1906, avant de devenir en 1913 à la mort d’Antony Roux la propriété de Miriam Amandine Goldschmidt-Rotchschild.
Une seule aquarelle ne faisait pas parti de cet ensemble. Il s’agit de « L’homme entre deux âges et ses deux maîtresses » dont on ignore toujours la physionomie.
L’ensemble a été « confié à la garde d’un ami de l’art ayant à cœur d’en assurer l’intégralité pour longtemps et peut-être pour toujours. »
En 1936, « Le Paon se plaignant à Junon » est offert au musée. Certaines des aquarelles disparaîtront pendant l’occupation.
Vous saurez tout sur ces 64 aquarelles avec le catalogue de l’exposition qui a bénéficié du soutien et du mécénat des Amis du musée Gustave Moreau.
La chronologie a été établie par Joëlle Crétin, chargée de la communication et de la documentation au musée.
Ont également écrit pour le catalogue : Juliet Carey, Senior Curator Wadesdon Manor, où l’exposition a été présentée (The Rothschild Collection) ; Patrick Dandrey, professeur émérite à la Sorbonne ; Maud Hap-Maatouk, historienne d’art ainsi que les trois commissaires de l’exposition.
Le catalogue est à se procurer si vous ne pouvez pas venir découvrir sur place cette exposition qui ne sera sans doute plus présentée sous cette forme. La dernière présentation de ces oeuvres s’est déroulée… il y a plus de cent ans…
Le Catalogue : Gustave Moreau, Les Fables de La Fontaine, 320 pages au format 24×29 cm, 412 illustrations (Co-Edition In Fine édition d’art/musée national Gustave Moreau, Paris, 2020). Prix : 39 €