Février 2017, épisode n°5 :
« Pour ce retour dans le Montmartre de mon enfance, après avoir fait la course avec le Funiculaire, nous nous sommes baignés dans la fontaine de Paul Gascq dans les jardins du Sacré-Cœur. Nous avons joué aux touristes sur la place du Tertre.
Lors de notre dernière balade en patins à roulettes, nous sommes arrivés au coin de la rue Tourlaque.
Nous allons repartir de là. Cette rue en forte pente était pour nous l’endroit de tous les dangers car c’est là que nous faisions de la planche à roulettes.
Il est temps que je vous parle de la confection de cette planche. Je n’en ai pas eu plusieurs mais une seule et unique. Nous la partagions avec les copains. Pour la confectionner nous avions récupéré tous les éléments dont nous avions besoin notamment un plateau suffisamment solide. Les roues le plus souvent étaient des gros et vieux roulements à billes donnés par les garagistes. En ce qui nous concerne c’étaient des roues de patins à roulettes. Nous avions vissé deux tasseaux : un à l’arrière, un à l’avant avec un axe central pour pouvoir pivoter. Nous avons ajouté quelques vis supplémentaires, quelques rondelles et boulons ainsi qu’une corde pour pouvoir la guider, mais surtout pour pouvoir nous tenir et retenir notre bolide (voir le plan). Le tout faisait un ensemble fragile, bruyant et dangereux.
Une fois partis, nous dévalions en trombe la rue Tourlaque. On ne peut pas dire que nous ralentissions aux intersections. Nous n’y pensions même pas grisés par la vitesse. Il est vrai que le trafic automobile n’était pas intense. Nous freinions comme nous pouvions en arrivant rue Joseph de Maistre. Bonjour les semelles des chaussures ! Nous nous arrêtions juste avant le mur du cimetière. Pour un peu nous aurions pu devenir un de ses clients. Nous partions vers d’autres pistes noires dès que les riverains commençaient à se manifester.
Un jour que j’accompagnais ma mère chez une cartomancienne, ma mère croyait en un monde parallèle ! Le fils de la voyante m’a proposé d’aller faire une descente en planche avec sa bande. Plus intrigué par ce que ma mère faisait, j’ai décliné son offre. Bien m’en a pris. ils ont renversé une personne âgée. On nous a dit qu’elle était morte des suites de sa chute. Cela m’a refroidi. Je me suis recentré sur mes patins à roulettes.
Nous voici dans le quartier des Grandes Carrières
De la rue Lepic à la rue Joseph de Maistre, la rue Tourlaque fait 205 mètres et un peu plus de 9 mètres de large. Elle croise la rue Caulaincourt et la rue Damrémont. Elle offrait jadis un accès direct aux carrières qui avaient été exploitées à ciel ouvert au début de l’exploitation, puis creusées sous la colline. Nous sommes dans le quartier dit des Grandes Carrières. En 1909, devant le n°12 le sol s’est effondré entraînant un homme et une femme dans un trou béant évalué entre 12 et 17 mètres de profondeur car écroulé dans une des anciennes galeries d’extraction du gypse. Les pompiers ont rapidement sorti l’homme. Mais, il a fallu plusieurs jours pour retrouver le corps de la mère de famille.
En Bas de la rue, au n°22, il y avait une cité d’artistes la « cité des Fusains » construite avec des matériaux récupérés de l’exposition de 1889. La partie à Colombage a été construite en 1923. La cité a accueilli entre autres Derain, Bonnard ainsi que Dali et les surréalistes notamment Max Ernst.
Pendant la Révolution, la partie à ciel ouvert des Grandes Carrières de gypse qui fournissaient le plâtre pour les constructions parisiennes a servi de cimetière, d’où sa première appellation : cimetière de la Barrière Blanche. Le cimetière paroissial de Montmartre, cimetière du Calvaire devenu bien national n’était plus utilisé. Il sera fermé définitivement durant la Commune. Le cimetière du Nord ou Cimetière de Montmartre a donc été aménagé progressivement. Il fait aujourd’hui 11 hectares. Il a été inauguré officiellement le 1er janvier 1825. Il est inclus dans Paris depuis 1860, il abrite plus de 20 000 concessions ; 250 célébrités y ont été recensées parmi lesquelles, la famille des bourreaux Samson notamment celui qui exécuta Louis XVI… des gens de théâtre : Frédéric Lemaitre, Jean-Claude Brialy, Michel Galabru, Louis Jouvet… des musiciens : Jacques Offenbach, Hector Berlioz, Fred Chichin du groupe Rita Mitsouko… des écrivains : Théophile Gautier, les frères Goncourt. On y trouve la tombe cénotaphe de Zola, ses cendres ayant été transférées au Panthéon en 1908… des artistes : Dalida, Michel Berger, Annie Fratellini, La Goulue, Medrano… des politiques : Léon Gambetta ou Emile de Girardin ; mais aussi l’héroïne d’Alexandre Dumas Fils : la Dame aux Camélias, Alphonsine Plessis. L’écrivain est lui aussi est enterré ici ainsi que des cinéastes : Sacha Guitry, François Truffaut ou encore des peintres : Edgar Degas, Francis Picabia, Francisque Poulbot, sans oublier le créateur de la Cité universitaire : Emile Deutsch de la Meurthe et la famille des banquiers Pereire. Parmi les dernières célébrités inhumées, Siné en mai 2016. L’entrée principale est 20 avenue Rachel, une rue particulièrement chaude de la prostitution travestie jusque dans les années 50. On y trouvait également des restaurants russes. Sous l’Occupation, Paul Sézille antisémiste notoire avait suggéré de marquer la rue d’une étoile jaune car la comédienne Rachel était juive.
Poursuivons notre périple par le Pont Caulaincourt qui enjambe le cimetière. Il a été construit en métal en 1888.
Nous voici arrivés place Clichy à la pointe du pâté de maisons entre les boulevards de Clichy, les rues Caulaincourt et Forest, Castorama s’y est installé. Là se trouvait un immense cinéma de 5000 places, le plus grand, le Gaumont-Palace. Avant ce gigantesque cinéma dès 1900, il y avait eu l’Hippodrome de Paris, une immense salle de spectacles.
Au Gaumont Palace, les films à grands spectacles étaient projetés dans des formats exceptionnels avec un son incomparable qui donnaient aux séances une dimension magique pour les enfants que nous étions. J’y ai vu Les 10 commandements, Ben-Hur, à La Conquête de L’Ouest. Et comble de fierté avec mon école de la rue Georgette Agutte nous avons chanté sur scène, car à l’époque il y avait des attractions à l’entracte. J’étais au premier rang fier dans ma chemise blanche et vivement impressionné par cette immense salle.
Non loin, nous faisions un détour par l’ancienne rue des Grandes Carrières devenue rue Ganneron car il y avait une usine de crèmes glacées et nous passions des heures à regarder entrer et sortir les camions espérant toujours obtenir une glace. Nous y avons beaucoup salivé et repartions toujours la gorge sèche. Nous avons su plus tard que cette rue avait été une des rues du Milieu où il y a eu des règlements de comptes.
Prenons la rue Carpeaux. Nous arrivons devant l’hôpital Bretonneau. Il a changé d’affectation. Il est passé de la pédiatrie à la gériatrie après avoir été dans les années 1990-1995, un squat artistique. J’y suis né et je l’ai beaucoup fréquenté car j’étais sujet à des hémorragies nasales qui étaient soignées à l’époque selon ma mère « avec des mèches de radium », ce qui à ses yeux était une grande avancée médicale et faisait d’elle une proche de Marie Curie. C’est sans doute pour cela que je déclenche les portiques de sécurité.
Au 12 rue Carpeaux, voici le Centre de secours Montmartre où se trouve le poste de commandement de la 9e compagnie de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Il s’y est installé au début du XXe siècle après avoir quitté la rue du Château en 1902. Cette brigade est intervenue sur un grand incendie dont je garde la mémoire. Je me souviens encore d’une vive explosion et des flammes qui ont ravagé un garage de 5 étages sur 600m², rue d’Oslo en mai 1958. Mes sœurs m’avaient offert un garage identique pour Noël. Une fois, l’incendie maîtrisé, on voyait encore des voitures garées dans les étages et d’autres pêle-mêle. Il a coûté la vie à trois sapeurs.
Dès que nous avions récupéré un peu de monnaie, nous fréquentions le square Carpeaux pour y faire de la balançoire. Nous nous faisions sermonner car nous nous balancions debout et tentions d’aller le plus haut possible afin de réaliser un tour complet. Nous n’y sommes jamais arrivé car des butoirs nous en empêchaient. Dès qu’il y avait un peu de monde, il nous refusait des tours supplémentaires. Le square comme l’hôpital Bretonneau avait été créé à l’emplacement d’une partie du cimetière de Montmartre réduit et désaffecté en 1879.
Nous voici au n°148 rue Ordener, là est tombé le garçon de recettes de la Société Générale. A l’angle de la rue, il y avait l’agence de la banque. C’était le premier braquage en auto de la bande à Bonnot, le 21 décembre 1911. Dans mon immeuble un voisin, un vieil anarchiste qui avait suivi l’affaire, nous parlait de Jules Bonnot, un jeune homme bagarreur, refusant l’autorité, chassé de sa famille et devenu anarchiste. Il avait toute sa sympathie et la notre. Quand nous le quittions nous étions à notre tour les anarchistes Jules ou Raymond la Science. Nous nous tirions dessus avec des pistolets à bouchon ou à amorces, sans bien comprendre alors la philosophie de ce mouvement.
Dans cette même rue, je suis allé quelques fois chez un copain dont le père était artiste peintre. Il habitait au n°189 dans l’immense cité baptisée : Montmartre aux Artistes. A l’intérieur, tout était immense, je me sentais un peu comme Gulliver au pays des géants. Un escalier très large menait au hall décoré de grandes mosaïques. Leur appartement était aussi l’atelier de son père. Le plafond était très haut 6-8 m. Une mezzanine surplombait la moitié de la pièce. Le parquet ne semblait pas très épais et craquait sous nos pieds.
Cette cité d’artistes demeure la plus grande d’Europe. Elle a été construite entre 1929 et 1936 et abrite 180 ateliers-habitations.
Nous voici arrivés rue Championnet
La rue est ouverte en 1858, de la rue des Poissonniers à la rue Damrémont. Elle s’appelle alors rue Oudot. En 1867, son prolongement jusqu’à l’avenue de Saint-Ouen prend le nom de Championnet qui sera le nom de toute la rue à partir de 1877. Elle est longue de près de 2 kilomètres et d’une largeur de 14 à 20 mètres.
Au carrefour rue Ordener – rue Championnet, il y avait le garde-meuble et déménageur Bedel ainsi que Chauvin Arnoux qui y est toujours. Dans les poubelles de ce dernier nous récupérions des rondelles métalliques. Nous avions remarqué qu’elles avaient le diamètre des pièces nécessaires pour obtenir des bonbons dans les distributeurs du métro.
Au n°181 au premier étage, vivait Astride, une belle blonde avec de très longs cheveux qui me faisait rêver. Comme elle était souvent sur son balcon, je me suis senti une âme de Roméo et j’ai grimpé un jour par les refends pour la séduire. Elle était plus âgée. J’étais ridicule. Cela l’a bien fait rigoler.
Nous étions voisins, j’habitais au n°183 avec mon frère, mes trois sœurs et ma mère. Il y avait un ascenseur. Mais, avec les copains nous étions interdits d’ascenseur parce que trop jeunes. Comme nous habitions au 6e, je le prenais dès que la concierge avait le dos tourné. Là-haut, lorsque la lumière s’éteignait dans les couloirs, comme il n’y avait aucune fenêtre, pas de veilleuse, pas de lumière sous les portes à l’heure où je rentrais, la frousse me prenait dans ce dédale. Nous vivions dans une grande pièce avec une petite entrée et une cuisine sans frigo ; pas de salle de bains et les toilettes sur le palier.
De nos fenêtres nous avions d’un côté une vue lointaine sur la Tour Eiffel et de l’autre une vue directe sur le parvis de l’église. Nous assistions aux enterrements qui à l’époque se faisaient avec beaucoup d’apparats, nous trouvions ça très classe. Il y avait les brassards, l’argenterie, les photos zébrées de noir, les familles en tenue de deuils et surtout les énormes tentures installées à la porte de l’immeuble avec les initiales du décédé. Nous avons pensé un temps devenir croquemort. Mais, on nous avait expliqué qu’il fallait croquer l’orteil du mort pour vérifier qu’il était bien décédé et cet aspect de la profession ne nous tentait pas du tout. Nous ne nous sentions pas une âme d’anthropophage. Alors nous nous sommes orientés vers les autres carrières religieuses. Surtout que nous avions sous nos fenêtres un pâtissier qui faisait de superbes décorations pour les baptêmes, communions, mariages, des pièces-montées qui nous faisaient saliver et des branchages sophistiqués en dragées. Ce côté festif nous attirait davantage et correspondait mieux à notre philosophie de la vie. Et puis on nous répétait sans cesse: « il faut savoir ce que tu veux faire plus tard ! »
Dans notre immeuble vivaient des artistes. Le nain Piéral ami de Jean Marais avait joué dans Les Visiteurs du Soir. Nous l’avions vu dans Le Capitan. Il y avait aussi un des frères Jacques. Ils chantaient alors la chanson de Gainsbourg le Poinçonneur des Lilas.
Au n°174, il y avait donc notre église Sainte-Geneviève des Carrières. A l’origine c’était une simple chapelle. Avec mon copain Bernard nous y avons chanté, nous avons été cœurs vaillants et enfant de chœur. Pendant les offices, j’ai agité la clochette, secoué le sac à main qui fume évoqué par Coluche quelques années plus tard. Mais, le curé n’était pas satisfait de mes prestations. Nous avions surtout un faible pour les hosties et nous avions trouvé son vin de messe… Il a renoncé à nos services, en nous traitant de mécréants. Il faut croire que mon copain était plus imprégné que moi par la religion car il est devenu curé. Comme quoi, c’était une vraie vocation !
Nous n’avons pas raconté aux parents nos incartades car nous étions des adeptes du patronage dont l’entrée principale était rue Georgette Agutte. Pendant la guerre, ce patronage avait joué un rôle de tout premier plan. L’abbé Raymond Borme animateur du patronage Championnet a soutenu toutes les initiatives de la Résistance durant l’occupation de 1940 à 1944 sans jamais être inquiété. Les locaux ont ainsi servi de boîte aux lettres, de dépôt des tracts, de stock d’armement. On y a fait des faux papiers et ronéotypé le bulletin de la France combattante. Alors on nous projetait le jeudi dans son grand hangar des films sur la dernière guerre.
Rue Georgette Agutte, il y avait une très grande imprimerie en sous-sol, nous passions beaucoup de temps à regarder les feuilles imprimées s’empiler au rythme d’un bruit répétitif qui nous fascinait et nous respirions à pleins poumons l’odeur de l’encre.
Les parents de mon copain étaient gardiens d’un grand chantier juste en face. Là était stocké du matériel pour des échafaudages en bois, du sable, des parpaings, nous étions dans une période de reconstruction. Nous jouions aux petits soldats dans le tas de sable et nous construisions de belles cabanes en dur qu’il fallait à chaque fois démonter en fin de journée. Lorsqu’il pleuvait, nous avions aménagé dans une de leurs caves notre bureau avec une table, des chaises, des tampons et nous jouions au « Bureaulier ». Nous n’avions pas encore trouvé notre vraie voie.
Notre école de garçons était au n°15, à côté de l’école des filles. Mais ceci est une autre histoire…
Prochain rendez-vous devant mon école ! »
Vidéo production : Les Nautes de Paris
Documents : Gérard Jouhet et Les Nautes de Paris
JOSETTE MORRISJOSETTE
Comment posted on 2-15-2017CELA ME RAPPELLE NOTRE VIEUX QUARTIER. CELA ME DONNE LE MAL DU PAYS JOSETTE